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Coordination : Hervé Jourde / Naomi Mazzilli
Data Base : Juliette Fabre
Le karst désigne le résultat de la dissolution par l’eau d’une roche carbonatée (calcaire, dolomie). Vu depuis la surface, c’est un paysage typique constitué de dolines, lapiaz, grottes et gouffres. Mais sous nos pieds, le karst est d’abord un aquifère pouvant contenir des vides de grandes dimensions. Certains de ces vides souterrains sont suffisamment grands pour que l’Homme les explore : on parle alors de réseau spéléologique. Ce réseau accessible à l’Homme ne constitue qu’une infime partie des vides existants.
L’aquifère karstique est donc une roche réservoir qui présente des propriétés particulières et très contrastées d’écoulement et de stockage de l’eau souterraine, en lien avec la présence d’un réseau de vides en 3 dimensions plus ou moins connectés. La particularité de l’aquifère karstique réside dans l’existence de ces vides de tailles diverses, qui peuvent être vus comme un réseau de conduits karstiques très perméables insérés au sein d’une matrice rocheuse plus ou moins poreuse et micro-fracturée. On parle souvent d’un fonctionnement à deux composantes majeures : écoulements lents (au sein de la matrice carbonatée) et écoulements rapides (au sein des conduits karstiques). Il en découle un fonctionnement hydrodynamique caractéristique : grâce au réseau de conduits, l’eau peut circuler à grande vitesse ; les pluies provoquent alors des réactions rapides de variation du niveau d’eau au sein de l’aquifère, qui se transforment en fortes variations de débit aux sources.
Le karst est un milieu qui évolue au cours des temps géologiques : certaines périodes sont propices au creusement (vertical ou horizontal) des vides, d’autres au contraire à leur colmatage. C’est aussi un milieu qui conditionne l’écoulement des eaux souterraines, tout en étant façonné par lui. Par exemple la circulation de l’eau est plus aisée dans les vides créés par karstification ; mais en retour une circulation plus importante de l’eau dans les vides créés peut engendrer une dissolution plus importante. Le paysage actuel et la distribution des vides au sein de la roche karstique sont donc liés à son histoire géologique, climatique, biologique et hydrologique.
Le processus de morphogenèse karstique (karstification) est associé aux roches carbonatées (principalement les calcaires et dolomies) car celles-ci présentent une spécificité majeure : la roche carbonatée (formée de CaCO3) est susceptible d’être dissoute par l’eau qui s’y écoule. Pour que cette dissolution soit effective, il faut cependant que l’eau qui circule soit acide. Cette acidité est généralement acquise du fait de l’activité biologique dans le sol qui produit du CO2 (dioxyde de carbone, anciennement nommé gaz carbonique), lors de la dégradation de la matière organique par les bactéries, ou la respiration des végétaux. La teneur en CO2 dans l’air du sol peut dépasser 4%, soit plus de 100 fois la concentration de l’atmosphère extérieure (0,04% ou 400ppm, en augmentation du fait des activités humaines polluantes). Ainsi, dans le cycle de l’eau, l’eau de pluie (issue de l’évaporation) s’écoule à travers le sol et s’infiltre vers la profondeur en se chargeant en CO2. Cette eau souterraine devenue naturellement acide, circule dans les vides pré-existants de la roche (par exemple des fractures, des limites de strates géologiques…) et va dissoudre la roche formant petit à petit un vide de plus en plus grand. La roche dissoute passe sous forme d’ions dans l’eau, la concentration en ions calcium (Ca2+) et hydrogénocarbonates (HCO3–) dans l’eau augmente. C’est pour cela que l’eau dans les régions calcaires présente un faciès chimique bicarbonaté-calcique. Localement, en fonction des équilibres calco-carboniques, l’eau va perdre une partie de ses ions en déposant du calcaire sous forme de calcite (phénomène de précipitation solide). Quand ce phénomène a lieu dans les grottes, ces dépôts sont à l’origine de concrétions (ou spéléothèmes) aux formes variées (stalactites = qui tombe, stalagmite = qui monte, draperies, coulées sur les parois et les sols, gours = barrage naturel de calcaire en aval d’une vasque…). Ce phénomène de précipitation a lieu également dans les cours d’eau, sur certaines fontaines, dans votre chauffe-eau ou votre bouilloire quand ceux-ci s’entartrent.
Le paysage de surface typique des régions calcaires présente ainsi des gorges ou canyons, des dépressions (dolines, poljé), des escarpements, des grottes, des vides qui entaillent les dalles de calcaire fracturé (lapiaz ou lapié, gouffres ou avens). Il résulte de trois phénomènes principaux, liés à la nature carbonatée de la roche et à l’existence de zones fragiles (fractures, failles d’origine tectonique, ou strates originelles de la roche) : (1) La roche carbonatée (formée de CaCO3) est dissoute par l’eau qui s’écoule. Ce processus a lieu en surface, mais également en profondeur. (2) La roche fragilisée par son réseau de fractures ou de strates, éventuellement élargies par dissolution, s’écroule sous l’effet de la gravité. Le froid des périodes glaciaires ou des zones de montagne augmente la destruction par l’action du gel (la gélifraction). En zone côtière, la mer vient également saper les falaises par l’action des vagues. (3) L’écoulement de l’eau par ruissellement lors des pluies entraîne les matériaux déposés au sol vers le bas des pentes (transport sédimentaire continental). Le frottement de l’eau sur la roche génère de l’érosion mécanique.
Le paysage de l’endokarst (karst souterrain) ne comporte pas de vallée, mais des galeries ou conduits karstiques formés au cœur de la roche. L’eau de pluie qui ruisselle s’infiltre préférentiellement dans les fractures du calcaire. Quelquefois, les rivières de surface se perdent totalement au contact des calcaires perméables, de manière diffuse, ou dans des pertes spectaculaires. Les vides souterrains se creusent comme en surface sous l’action combinée de la dissolution chimique et de l’érosion mécanique. Le réseau karstique s’organise au sein du massif carbonaté au cours du temps.
L’eau souterraine circule dans l’aquifère depuis la surface (zone de recharge ou d’infiltration) vers la profondeur à travers la zone non saturée de l’aquifère (appelée aussi zone vadose). C’est là que l’écoulement peut prendre la forme d’une rivière souterraine. Puis cette eau d’infiltration rencontre la nappe d’eau souterraine, qui forme une masse d’eau envahissant tous les vides de la roche. Cette nappe existe dans tous les types d’aquifères (poreux, fissuré, karstique). Elle constitue une réserve en eau souterraine dont le volume est d’autant plus important que l’aquifère se développe en profondeur, sous le niveau de l’exutoire. Par exemple, à la Fontaine de Vaucluse, source qui draine un bassin versant de plus de 1000 km², l’aquifère carbonaté est présent jusqu’à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Les sources sont également une caractéristique du karst : l’eau souterraine converge généralement vers un exutoire principal, la source, connectée à un réseau de conduits noyés qui traverse la nappe d’eau souterraine.
Les roches carbonatées affleurent sur environ 50% de la surface de la France métropolitaine (Chen et al. 2016, lien vers la carte Wokam). Elles sont largement représentées autour de la Méditerranée et dans de nombreux pays du Monde. À l’échelle de la France métropolitaine, la ressource en eau souterraine est cruciale pour l’alimentation en eau potable, les usages industriels et l’irrigation (>50% des prélèvements en 2013 – lien). Les aquifères karstiques constituent généralement la ressource en eau potable locale principale pour de nombreuses agglomérations implantées sur les zones carbonatées (comme par exemple Montpellier). Les roches carbonatées sont également une matière première minérale indispensable pour l’industrie de la construction (matériaux et ciment). Et dans un monde qui exploite actuellement les ressources fossiles, les roches carbonatées renferment des réserves en gaz et en hydrocarbures. L’existence des vides karstiques complexifie l’exploitation des ressources (fluides ou minérales), et nécessite de développer des méthodes d’études spécifiques à ces milieux karstiques hétérogènes pour comprendre et anticiper leur fonctionnement hydrodynamique ainsi que l’organisation des vides en 3D. Par exemple, pour l’exploitation d’eau souterraine, il est indispensable de tenir compte de la répartition hétérogène de l’eau dans le complexe matrice/conduits. L’eau souterraine peut alors être captée dans la zone non saturée, ou dans la nappe au sein de la matrice ou dans le réseau de conduits, ou directement à la source.
Les roches non karstiques peuvent également offrir des ressources fluides ou minérales intéressantes. Mais l’existence des vides souterrains de grandes dimensions amène des problématiques et des opportunités spécifiques au karst, qui doivent être abordées par des études spécialisées : (1) Les connexions hydrauliques rapides entre la zone de recharge par les pluies et les sources peuvent accentuer la génération de crues éclair dans les rivières par déversement de l’eau du karst (relation surface – souterrain) ; (2) Les vides souterrains sont également des archives du passé, ayant enregistrées le climat et les variations des niveaux de base (mer ou rivières) ; (3) Certaines grottes abritent sur leurs parois ornées et sur leurs sols des vestiges de la présence humaine au paléolithique ; (4) Une biodiversité, rare mais très spécifique, existe également dans les vides karstiques ; (5) Les vides souterrains sont au cœur du risque naturel d’effondrement… Enfin, l’étude du karst participe à l’amélioration de nos connaissances sur notre environnement, aussi bien pour la compréhension de phénomènes bio-physico-chimiques, que pour l’observation des changements passés, actuels et futurs.